Cinq Espagnols et trois Chinois soupçonnés d’avoir préparé un cambriolage d’ampleur afin de dérober des antiquités asiatiques sont renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris.
En ce soir d’hiver 2019, un discret groupe d’Espagnols musarde au milieu du public du château de Fontainebleau (Seine-et-Marne). Aucun détail n’échappe à ces visiteurs consciencieux. Ils sont absorbés par la beauté des vases, des pierreries et des meubles en bois précieux du « musée chinois », cette fabuleuse collection d’antiquités asiatiques rassemblée par Napoléon III et l’impératrice Eugénie. Mais les compères ne se satisfont pas de la visite balisée : ils documentent aussi la disposition des vitrines, la taille des fenêtres, la localisation des bouches d’égout et la solidité des grilles extérieures.
Ils reviendront bientôt sur les lieux, et ils seront mieux équipés. Le 21 décembre, à 18 h 12, ils passent en caisse du magasin Bricorama le plus proche. Montant de la facture : 398 euros. Une échelle, un chalumeau, un diable pliant, une paire de gants d’hiver, deux tendeurs, un coupe-boulon et un arrache-clou. Cette équipe de cinq Madrilènes, âgés de 33 ans à 45 ans, ignore qu’elle est prise en filature par l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels qui a reçu un « tuyau » de la police judiciaire espagnole. Il était question d’un vol en préparation et d’un musée non identifié, disposant d’œuvres orientales. A voir le manège des monte-en-l’air présumés, la cible fait peu de doute.
Les bricoleurs ont établi leur quartier général à Nemours (Seine-et-Marne), dans les hôtels Ibis et Formule 1. Mais ils ne sont pas seuls. Trois ressortissants chinois, arrivés en voiture d’Italie, grenouillent dans les parages. C’est l’un d’entre eux, S. Hu, 45 ans, résidant à Borso del Grappa (Italie), qui a payé l’hôtel pour toute la troupe. D’après les enquêteurs, et selon l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris signée le 26 avril, dont Le Monde a pris connaissance, il est le commanditaire d’un cambriolage désormais imminent.
Tunnel et issue champêtre
Les conversations sur l’application chiffrée Signal entre les malfrats ibériques et leur donneur d’ordre chinois précisent les objets d’art à prioriser (des vases, en particulier) autant que la stratégie d’action, impliquant un tunnel et une issue champêtre. Mais, à mesure qu’approche le jour J, le ton monte quant à la nécessité de disposer d’un 4 × 4 pour s’extirper des abords du château, plus boueux que prévu. A défaut de véhicule tout-terrain, les Espagnols volent coup sur coup une Renault Espace et une Mercedes Classe A. M. Hu, de son côté, commence à douter de ses hommes de main. Sont-ils assez aguerris pour commettre pareil forfait ? Il ne peut temporiser plus longtemps.
Le 28 décembre 2019, à 00 h 43, les cambrioleurs sont interpellés alors qu’ils se dirigent à pas de loup vers leurs voitures, garées sur le parking de l’hôtel. Deux minutes plus tard, M. Hu est arrêté à son tour. Les pensionnaires du Formule 1 suivront, au petit matin. Les perquisitions des chambres et des véhicules révèlent leur panoplie complète : disqueuse, spray anti-agression, burin, gants, cagoules… Une information judiciaire est ouverte le 31 décembre 2019, notamment des chefs d’association de malfaiteurs en vue de commettre le crime de vol en bande organisée.
Face aux enquêteurs, les mis en cause déroulent d’abord la même justification touristique. Une histoire de copains en goguette, venus visiter Paris et Fontainebleau, avec un détour par ce petit musée chinois, conseillé, dira l’un, par un certain « Sergio ». L’achat d’une hache ? Un cadeau à ramener en Espagne, car ce type d’accessoire est moins cher et de meilleure qualité en France. Les cagoules ? Oscar A. E. confesse en « avoir toujours une sur [lui] », avant d’indiquer qu’il leur « arrivait de se déguiser pour rigoler ». Les intempestifs allers-retours aux abords du château sont excusés par la difficulté à trouver une place pour se garer. Les repérages à pied autour du musée n’auraient rien de suspect non plus : une simple balade « pour acheter des crêpes ».
Ce scénario des touristes ingénus s’effrite au fil des auditions. Surtout après les déclarations de Juan Carlos Q. S., qui se présente comme le chauffeur du groupe. D’après lui, les commanditaires auraient promis à chacun 10 000 euros pour mener à bien la mission. Une besogne trop ambitieuse au vu du pedigree des Espagnols. Réaliser un tel méfait « est impensable pour quatre abrutis de Madrid », s’insurge le transporteur, pris de remords. Oscar A. E. confirme que la promesse initiale de « lancer un caillou dans une maison et prendre une figurine » était moins ambitieuse que le casse d’un musée sous haute surveillance…